Ce texte provient d’un dossier du CRAP-Cahiers pédagogiques sur les rythmes scolaires édité au format pdf, disponible en téléchargement sur le site des Cahiers pédagogiques
C’est entendu, l’organisation du temps scolaire doit avant tout répondre à l’intérêt des enfants. Mais on n’a pas beaucoup avancé si l’on s’en tient à cette affirmation parce que, d’une part, les données de la chronobiologie, si importantes, reposent avant tout sur des moyennes, et que, d’autre part, l’élève de l’école est aussi l’enfant d’une famille, vivant dans une cité, qui a ses propres ressources, culturelles, sportives, éducatives, de loisir, et dans un pays, qui a ses propres rythmes et ses propres contraintes, avec leurs avantages, et leurs nuisances. C’est donc tout cela qu’il s’agit de prendre en compte et il n’est pas étonnant qu’il soit difficile de s’accorder.
Qu’en est-il des données économiques et des rythmes sociaux ? Affirmer que l’étalement des vacances d’hiver serait fait dans l’intérêt des stations de sports d’hiver procède d’une vue trop réductrice. Il est vrai que tout le monde ne part pas en vacances : mais le taux moyen de départ (1) augmente constamment, de 43,6% en 1969 à 52,5% en 1980 et 62% en 1994). Les professions libérales ont depuis vingt ans un taux de départ de 90%, les cadres moyens de 80%, mais les catégories sociales qui ont été le plus longtemps à l’écart de ce mouvement s’y mettent à leur tour : en vingt ans, le taux est passé de 47 à 55% pour les ouvriers, de 14 à 35% pour les agriculteurs. Les écarts sont encore très marqués pour les vacances d’hiver, et la majorité des familles et des enfants ne vont pas en vacances de neige, mais le mouvement est le même, et l’on ne peut que s’en réjouir.
De plus, le calendrier des vacances scolaires s’est progressivement concentré sur juillet et août, à mesure que la durée des congés payés s’accroissait, des deux semaines de 1936 aux cinq semaines de 1982 ; on retrouve cette tendance dans les périodes de fermeture de beaucoup d’entreprises, dans le rythme de fonctionnement des régions touristiques, où il est renforcé par la location au mois ou à la semaine calendaires, et on comprend qu’il rythme de fait les pratiques de la majorité de la population. À une autre échelle, la semaine anglaise, l’aspiration à un week-end prolongé, les horaires quotidiens des entreprises et des administrations favorisent encombrements, accidents, stress, et fatigue au retour des vacances et des week-end.
En période de pointe, les équipements sont saturés pour être sous-employés, et donc souvent moins attractifs, en période creuse, ce qui renforce la concentration sur les périodes pleines. Et quand il arrive que les périodes de vacances en France coïncident avec celles des pays voisins, le problème prend une dimension européenne. Au reste, il y a des limites, techniques et sociales, à un assouplissement de l’usage du temps, et des pressions s’exercent même en sens contraire, par exemple pour étendre encore les fermetures de week-end à de nouveaux secteurs, comme la Poste, en négligeant le service aux particuliers. La recherche de solutions est donc souvent compliquée par des réalités contradictoires.
Ainsi, l’assouplissement des horaires quotidiens de l’école – on laisse ici de côté son aspect proprement pédagogique – se heurte à la rigidité des horaires des entreprises, et donc des parents, à moins de mettre en oeuvre tout un système d’accueil : selon le maire de Rouen, «un collège devrait être ouvert de 7h30 à 18h30 cinq jours dans la semaine. Après tout, les hôpitaux sont ouverts 24 heures sur 24, 365 jours par an (2).» Il y a aussi les contraintes, d’abord financières, des horaires de ramassage scolaire ; on a montré par ailleurs que ce ramassage «réduit de 10 % les chances d’orientation en cycle long» à la fin de la troisième (3)».
Le zonage des vacances scolaires, timidement et difficilement introduit depuis 1968, a pourtant, en termes d’économie ou de confort, des avantages qui surpassent les inconvénients, comme, par exemple, la difficulté de faire des réunions de familles très dispersées à travers le pays. En particulier, si les vacances d’été étaient raccourcies, ce qui semble de plus en plus une condition d’un aménagement plus pédagogique de la journée et de la semaine scolaires, on ne ferait qu’aggraver les encombrements et tout ce qui s’ensuit (par exemple les prix) s’il n’y avait pas en même temps un plus net étalement du calendrier. Aux oppositions à ce raccourcissement et à cet étalement, on peut objecter que l’uniformisation du calendrier scolaire est, somme toute, assez récente, et, il faut bien le dire, qu’il n’y a pas de loi ou de décret qui fixe la durée des vacances des enseignants.
Mais il s’en faut de beaucoup que le mouvement soit suffisant. Il reste subordonné à l’idée que le temps, à l’intérieur des périodes scolaires, se déroule uniformément, de jour en jour, de semaine en semaine. Or, d’un côté, l’intérêt du week-end ou l’incitation au déplacement ne sont pas les mêmes à toutes les saisons, ou dans toutes les régions. Et, d’un autre côté, introduire de la variété dans le temps scolaire, y ménager des temps forts, des moments de réajustement, des temps de conclusion, serait accroître l’efficacité pédagogique de l’enseignement. Cela converge avec les réflexions sur l’étalement des vacances et sur un usage plus souple du temps. Il faut rappeler ici les idées avancées il y a plus de vingt ans par Jacques de Chalendar (4) : l’étalement des fermetures n’est qu’une solution partielle, il faut arriver, comme dans d’autres pays, à ce que chacun puisse prendre au moins une partie de ses congés au moment choisi par lui dans une large période, de mai à septembre par exemple, avec organisation d’un roulement à l’intérieur de l’entreprise. Et, dans la mesure où les congés des travailleurs sont souvent déterminés par ceux des enfants, il faut organiser le même système dans l’école : «Les parents qui souhaitent travailler en juillet et en août, et, a fortiori, ceux qui y sont contraints, doivent pouvoir partir avec leurs enfants en mai, en juin ou en septembre. Il doit en être de même pour les maîtres.» L’école fonctionnerait alors de la façon habituelle d’octobre à avril ; de mai à septembre, elle ne fermerait pas, et les élèves et les enseignants pourraient prendre leurs congés, de durée inchangée, aux moments qu’ils choisiraient, par blocs de trois semaines, les groupes d’élèves étant recomposés ainsi toutes les trois semaines, pour des activités en forme de stages ou de modules, largement libérées des contraintes des programmes. On pallierait ainsi la désorganisation du troisième trimestre, étant entendu que rien d’autre que l’habitude n’oblige à ce que le baccalauréat soit en juin.
Radicales, ces idées n’ont pas été retenues à l’époque. Elles montrent cependant le lien entre temps de l’école et données économiques et on peut conjecturer qu’un certain nombre d’objections à la prise en compte de ce lien ne sont, au fond, que des façons distinguées de se prémunir contre tout changement de pédagogie ou de calendrier. Il en est sans doute de même pour la question, assez complexe, de l’alignement de l’année scolaire sur l’année civile.
Le zonage est une forme sans doute plus acceptable par l’opinion, y compris l’opinion enseignante, d’assurer un certain étalement. Tout le monde n’en est pas convaincu, à en juger par les fréquents remaniements du calendrier, et en dernier lieu, pour les trois années à venir, par la limitation de ce zonage aux vacances d’hiver et à celles de printemps : le premier trimestre restera très long, le troisième très court, les vacances d’été commenceront partout en même temps, la rentrée sera décalée non par zones, mais entre les lycées et les écoles et collèges, ce qui ne manquera pas de poser des problèmes aux familles. Pour l’été, on a sacrifié le principe de l’étalement à celui de dates uniformes pour les examens, et à la pratique des vacances au mois. Attendons les prochains changements de ce calendrier. Mais on voit bien la difficulté du zonage : pour instaurer une alternance, reconnue assez généralement comme souhaitable, de sept semaines de classe et deux semaines de repos, il faut l’appliquer à toutes les vacances, y compris donc les vacances d’été, mais aussi celles de Noël, et jusqu’ici on n’a jamais prévu qu’un décalage de quelques jours à ce moment. Il faut mettre en cause le calendrier des examens, voire leur consistance (mais ce ne sont pas des concours), et celui des mutations des enseignants. Le jeu en vaut pourtant la chandelle, l’économie s’en porterait mieux, et l’école aussi.
Calendrier scolaire et laïcité
Le calendrier scolaire pose aussi des questions sur la place des religions dans notre Ecole laïque.
En 1987, l’archevêque de Bourges avait attaqué en tribunal administratif une décision de l’inspecteur d’académie instituant la semaine anglaise et supprimant le congé du mercredi dans quelques écoles ; le tribunal puis le Conseil d’État en appel, avaient annulé la décision de l’IA au motif que seulement la loi ou le ministre pouvaient modifier le calendrier scolaire. Était invoqué l’article 2 de la loi de 1882 : "les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse en dehors des édifices scolaires". Mais la loi ne précise pas le jour. En revanche, la pratique d’un repos au milieu de la semaine, sans lien avec l’enseignement religieux, est bien antérieure, et c’est en continuant cette pratique qu’après 1882 le jeudi a été pris comme jour de congé, à une époque où le week-end n’était pas dans les habitudes. En 1972, on a transféré ce congé au mercredi, pour mieux équilibrer la semaine après la libération du samedi après-midi. On peut penser que des accords locaux entre autorités scolaires et autorités religieuses permettraient s’il était besoin, de dégager des horaires convenables pour permettre que les enfants reçoivent ce qu’on appelle aujourd’hui la catéchèse, y compris dans les jours ordinaires, en respectant l’esprit de la loi Ferry. Aujourd’hui, semble-t-il, quelque 45 % des enfants de 8 à 12 ans suivent la catéchèse dans les paroisses, un taux que l’Église craint de voir chuter fortement si le mercredi devenait jour de classe ordinaire.
On doit observer que le même problème se retrouverait pour d’autres activités, culturelles, sportives ou associatives, qui se déroulent actuellement le mercredi et ne se situeraient pas aussi facilement le samedi.
Reste la question des grandes fêtes, et du dernier jour de la semaine. Toutes considérations religieuses mises à part, on voit mal mettre en cause le dimanche, ou Noël, Pâques ou la Pentecôte, voire la Toussaint et même les lundis correspondants : ce sont, dans notre société laïcisée, des coutumes sociales et non religieuses. Il serait plus simple que Noël tombe toujours un dimanche, ou que la date de Pâques soit fixe ; rien ne semble s’y opposer théoriquement, mais cette question dépasse évidemment le cadre français. Quant aux autres fêtes chrétiennes chômées, leur liste a beaucoup évolué dans l’histoire, et elle n’est pas la même dans tous les pays, ainsi de l’Ascension, qui contribue si souvent à faire du mois de mai un mois en pointillés.
Remarquons enfin que, dans une société pluraliste, faire une place aux deux ou trois plus grandes fêtes juives et musulmanes serait une bonne mesure d’intégration. En revanche, il faut bien admettre que l’on ne peut pas donner au vendredi et au samedi, dans les écoles laïques, un rôle analogue à celui du dimanche.
Jacques George
Article paru dans le supplément n° 2 des Cahiers pédagogiques, mai/juin 1996.
Notes :
(1) L'INSEE compte comme départ en vacances un déplacement de plus de quatre jours, et ne prend en compte que les plus de vingt ans.
(2) Paris-Normandie, 15 mars 1996. À la suite : «les nombreux enseignants présents n'ont pu s'empêcher d'exprimer par un pesant murmure leur inquiétude devant un tel projet avec les conséquences humaines qu'il implique.»
(3) M. HENRIOT, président de l'ANATEEP, dans École et temps, INRP, 1994.
(4) Dans son rapport de 1970, Vers un nouvel aménagement de l'année, et un livre, L'aménagement du temps, Desclée de Brouwer, 1971.