Désignées par le très mauvais terme de « rythmes scolaires », les anomalies de la répartition des temps de travail des écoliers, collégiens et lycéens sont périodiquement dénoncées par des articles de revues ou de journaux, par des livres ou par des émissions de radio ou de télévision. Malheureusement, ces accusations et les propositions de réformes qui leur sont associées perdent souvent de leur pertinence du fait de l’insuffisance de réflexion et/ou de connaissances de leurs auteurs.
Évitant les exposés détaillés et les discussions publiées par ailleurs (voir bibliographie ci-dessous), je me limiterai ici à quelques données essentielles et à l’exposé des lignes directrices que je propose à notre réflexion.
Je me concentrerai sur les problèmes de l’enseignement primaire, non que ceux des collèges et lycées me paraissent négligeables, mais parce que les erreurs commises pendant ces premiers stades du cursus scolaire sont particulièrement dévastatrices.
J’essayerai de répondre aux questions que nous nous posons en adoptant l’ordre suivant :
• Pourquoi voulons nous changer les horaires scolaires ?
• Dans quel ordre faut-il aborder les aménagements de la journée, de la semaine et de l’année ?
• Quelles sont les mesures idéales satisfaisant au mieux nos connaissances sur les besoins et les aptitudes des enfants ?
• Quels sont les compromis inévitables que l’on peut accepter pour tenir compte des habitudes sociales ?
Pourquoi modifier les horaires scolaires actuels ?
Le motif habituellement invoqué en priorité est celui de la fatigue. J’ai moi-même accepté le titre La fatigue à l’école pour mon livre sur ce sujet dont la première édition a été publiée en 1976. Si je devais le récrire aujourd’hui, je choisirais un autre titre. Le travail scolaire n’est pas une cause directe de fatigue pour l’enfant : quand on lui en demande trop, il s’évade, soit par le refus, soit par le rêve et l’inattention. Les sources de fatigue sont plutôt à chercher dans les erreurs de la vie familiale, notamment dans l’insuffisance de sommeil, en n’oubliant pas cependant que ces erreurs familiales sont souvent la conséquence de celles de l’école.
Un effet le plus pernicieux de la mauvaise répartition des périodes de travail scolaire concerne le rendement de ce travail. Comme la nourriture du corps, celle de l’esprit exige des repas de quantité raisonnable, séparés par des intervalles suffisants pour en permettre la digestion et l’assimilation. Ce processus d’assimilation des connaissances nouvelles ressemble plus à la rumination des bovidés qu’à notre fonctionnement digestif : il exige des répétitions parfois multiples et la vérification que l’assimilation est satisfaisante avant d’entreprendre la suite du programme d’enseignement.
Il faut que la charge de travail scolaire laisse quotidiennement la place nécessaire au sommeil, au jeu et à toutes les activités nécessaires au développement équilibré d’un enfant. Une loi fondamentale d’hygiène de vie nous dit que l’équilibre nécessaire entre nos divers types d’activité (travail - repos, mouvement - immobilité, sommeil - éveil, etc.) doit être cherché en priorité dans le cadre des 24 heures. C’est tous les jours qu’un enfant doit disposer du temps nécessaire au jeu, au repos et à la satisfaction complète de ses besoins de sommeil.
Parmi les activités ne faisant pas partie du programme spécifiquement scolaire, certaines vont permettre d’assurer l’élasticité de l’emploi du temps : les enfants ne sont pas des machines régulièrement entretenues et prêtes à répondre sans défaillances aux sollicitations. Il leur arrive d’être malades ou d’être perturbés par des problèmes affectifs, c’est-à-dire d’être rendus indisponibles au travail scolaire pendant des périodes plus ou moins longues. Il faut pouvoir, momentanément, remplacer une ou plusieurs de ces activités par des séances de rattrapage scolaire. Dans la situation actuelle, ce rattrapage n’est pas possible dans les horaires scolaires, il ne peut être fait que dans les familles (et beaucoup n’en n’ont pas les possibilités) et le temps prélevé sur les loisirs et, surtout, sur le sommeil.
Dans quel ordre aborder les problèmes ?
Quand, il y a une quarantaine d’années, les premières propositions d’aménagement des « rythmes scolaires » ont vu le jour, la plupart ont consisté à ajouter aux programmes scolaires, des activités diverses (sports, travaux manuels et formations artistiques). C’était mettre la charrue avant les boeufs : les journées scolaires, déjà trop chargées, n’offraient pas de temps disponible ; celui-ci, en fin de compte, était prélevé sur les loisirs ou le sommeil des enfants. Dans certaines localités, des parents s’associèrent pour protester contre cette aggravation du surmenage scolaire. Tout le monde est d’accord aujourd’hui - et c’est même le seul point sur lequel l’unanimité se fasse - pour penser que les journées scolaires sont trop chargées et que toute réforme doit commencer par supprimer cette surcharge.
Trois solutions sont possibles pour y parvenir :
• Alléger les programmes.
• Allonger la durée des cycles d’enseignement : par exemple, répartir sur quatre ans ce qui est aujourd’hui étalé sur trois ans.
• Augmenter le nombre annuel des jours de fréquentation scolaire.
Si on veut bien prendre conscience de l’absurdité de la répartition actuelle : 175 jours de classe par an (*) pour 190 jours de congé (15 jours de congé de plus que de jours de travail !), il est évident que c’est le troisième moyen qui pourra nous fournir l’essentiel du gain de temps dont nous avons besoin pour soulager les journées. Il est inutile de parler de réforme, si on ne commence pas par réduire notablement le nombre annuel de jours de congé.
L’aménagement de la semaine devient un problème secondaire qui pourrait connaître des solutions variables selon les conditions locales.
Objectifs idéaux :
• Une année scolaire de 200 jours au moins.
• 4 à 6 heures de travail scolaire par jour en fonction de l’âge, y compris le travail personnel à la maison ou à l’étude.
• 5 à 6 jours de classe par semaine en fonction des saisons ou des conditions locales.
La semaine de 4 jours, véritable escroquerie qui maintient la répartition scandaleuse de 175 jours de travail pour 190 jours de congé, est à proscrire.
Les inévitables compromis
Je souhaiterais ne pas en accepter sur le nombre de jours de fréquentation scolaire par an. Mais je ne suis pas optimiste : l’égoïsme des adultes domine et les intérêts corporatistes l’emportent sur toute autre considération : syndicats d’enseignants, représentants des hôteliers et autres métiers de loisirs et, last but not least, les parents, principaux partisans de la funeste semaine de 4 jours.
Le temps réservé au travail scolaire quotidien pourra être discuté, l’appréciation de l’effort fourni par un enfant dans son travail scolaire ne peut pas être mesuré de façon précise et les variations individuelles sont particulièrement fréquentes et importantes dans ce domaine.
Je ne pense pas qu’il faille céder sur un minimum de 5 jours de travail par semaine. Le remplacement du congé du mercredi par celui du samedi paraît inévitable et sans inconvénient majeur.
J’ai laissé de côté jusqu’à présent deux problèmes importants : que je ne ferai qu’évoquer parce leurs solutions supposent que les problèmes précédents soient d’abord résolus.
• Tenir compte des variations de la réceptivité des élèves à l’enseignement au cours de la journée, en fonction des saisons et selon le jour de la semaine.
• Tenir compte des variations individuelles considérables des facultés d’attention, des possibilités de rester immobiles et silencieux, des goûts et des curiosités des enfants.
Il est certain que, pour la plupart des individus, le milieu de la matinée et l’après-midi au delà de 15, voire de 16 heures sont les plus favorables aux activités intellectuelles.
Mais la mise en application de ces données est rendue très difficile, voire impossible pour deux raisons :
• ces périodes sont aussi celle des meilleures performances physiques ;
• les disponibilités en locaux et installations sportives permettent rarement d’en tenir compte dans l’état actuel de nos équipements scolaires.
Les particularités de chaque individu sont, dans tous les domaines, la source principale des difficultés de fonctionnement des collectivités. En ce qui concerne l’aménagement du temps, aucun système n’est capable de répondre de façon parfaite aux variations individuelles des besoins de sommeil, des durées des périodes d’attention et de leur répartition dans la journée, des capacités de tolérance à l’immobilité, etc. Il est certain que, si critiquables soient-elles pour la majorité, les conditions actuelles du fonctionnement de notre système scolaire conviennent à 20 ou 30 % des écoliers, ou leur sont tout au moins supportables. C’est dans cette fraction de la population que se recrutent les cadres de la nation qui ne peuvent qu’être satisfaits d’un système qui leur a réussi, ce qui explique en grande partie la résistance au changement. Et cela doit nous rendre prudents dans nos revendications : renonçons à chercher le système valable pour tous. Nous avons à corriger de grossières erreurs et à mettre au point un ensemble de mesure pouvant satisfaire la majorité des élèves. Mais acceptons d’emblée de prévoir un grand nombre de « mutants » et de donner à notre organisation la souplesse et la diversité qui permette de les accueillir.
Ce texte, écrit en mai 2000, apparaît imprégné de l’esprit du milieu du siècle plus que de celui de sa fin. Il est sûr, et je l’espère, que beaucoup des difficultés que j’invoque seront balayées par l’utilisation généralisée des moyens de communication à distance.
Mais quand on considère l’immobilisme du système scolaire français (malgré quelques progrès), son refus de renouveler les méthodes pédagogiques, sa répugnance à se servir de la télévision et du magnétoscope, cette évolution se fera attendre encore longtemps.
(*) Note de 2009 : rappelons que la suppression du samedi matin qui est devenue la règle générale depuis la rentrée 2008 a réduit ce nombre à 140 jours par an...
Article paru dans les Cahiers pédagogiques n° 399 (décembre 2001).
Guy Vermeil
Pédiatre
Bibliographie
Reinberg, A. Les rythmes biologiques ; mode d’emploi, Paris, Flammarion, 1994.
Reinberg, A. et Vermeil, G. "Rythmes scolaires - le blocage des adultes", Le Monde du
20 octobre 1995. Article cosigné par C. Leconte-Lambert, P. Leconte, H. Montagner, F. Testu et Y. Touitou.
Vermeil G. "De quelques caractères spécifiques du travail scolaire", Revue d’hygiène et de Médecine scolaires, 1979, XXXII, 191.
Vermeil, G. La fatigue à l’école, Paris, ESF, 5e éd. 1987.
Vermeil, C. et Vermeil, G. Lièvres et tortues ; pour une école plus efficace, Paris, Stock, 1999 (nouv. éd.).